Texte écrit dans pour la 6ème édition du Lyncéus Festival
Création in situ en juillet 2019

C’est l’histoire d’un jeune groupe d’amis qui accueille l’un des
leurs, parti depuis plusieurs mois. Il revient, de loin, mais peine
à marcher sur la terre d’une amitié commune. C’est comme
impossible, pour lui, de parler, de danser, d’aimer à nouveau.
C’est l’histoire d’un retour difficile, une histoire d’amour et
d’amitié défiée par une insurmontable douleur.

Intentions

« Je découvre cet appel à projet alors que je suis à Tunis où j’écris Notre sang n’a pas l’odeur du jasmin. Je reviens de Redeyef, la ville d’où partent la plupart des harragas, les brûleurs de frontières. « Il n’y a rien ici pour nous ».
Me reviennent les mots d’un personnage de Benzine, un film de Sarra Abidi, « soit on brûle ailleurs, soit on brûle ici ». Je pense, bien sûr, aux brûlures sixième degré de Mohammed Bouazizi.
Je pense à la mer Méditerranée, tombeau à ciel ouvert disent les journalistes. C’est devenu un lieu commun. Il ne choque plus, passe de bouche en bouche.
Quelqu’un a-t-il un jour trouvé la métaphore belle, que c’était beau la mer Méditerranée comme un tombeau ?
Je repense à Benzine, un autre personnage cette fois, une mère : « on donne vie à nos enfants et la mer nous les prend. À quoi ça sert de donner vie si la mer la prend ? »

Un médecin de Lampedusa raconte qu’on a retrouvé des hommes et des femmes tenant entre leurs dents la chaîne de leur bateau. Tous alignés, la chaîne entre les dents.
« Comme ça ».
Il a fait le geste, celui de la chaine entre les dents.

On n’arrive jamais vierge dans une nouvelle ville.
Binic.
Binic – Étables-sur-mer.
Je repère cette ville sur une carte, à 2 000 kilomètres de Tunis.

Avec quelles histoires j’arrive ?
Binic.
Binic – Étables-sur-mer.
On me dit qu’avant on y pêchait la morue. Aujourd’hui la ville vit du « bien-être ». Vivre du bien-être…. Oui, les gens viennent quand il fait beau, se balader, boire un verre. Les Briochins viennent pour diner. Il y a plein de restaurants. Vivre du bien-être…. En faire l’activité principale de la ville. Même en hiver ? Ça ressemble à quoi ici, un lundi de février ?
« Vous savez, il y a toujours un fond de vie. »
Un fond de vie…

Je me balade dans la ville, c’est si propre, comme préparé. Les couleurs impressionnent les paysages inoffensifs.

Frontière.
Ce mot contamine mon regard. C’est à travers lui que je vois les panneaux. Les sens interdits. Les marqueurs jaunes et bleus du sentier de randonnée. Les croix. Les sens interdits. Les propriétés privées, les portails, les vidéo-surveillances.

De quoi se protège-t-on ?
A quoi tient-on tant dans ce fond de vie ?
Que cherche-t-on à préserver ?
Qu’offre-t-on de soi, de sa ville, et à qui ?
Pour qui est la beauté des jardins quand ils sont grillagés ?
La mer ici, ce soir, est si calme. La chaîne entre les dents. Comment introduire le fracas de cette chaîne dans une ville dont l’économie repose sur le « bien- être » ?

C’est à cet endroit précis, dans ce frottement, à cette frontière, que j’aimerais écrire. »

Sarah M., 2018

 

Chaque automne, depuis 2014, le collectif Lyncéus invite plusieurs auteurs à venir écrire pendant une ou deux semaines dans la ville de Binic Etables-sur-Mer. Les auteurs doivent choisir un lieu qui les inspire dans la commune et composer une œuvre à partir de cet espace.  L’été suivant, le festival présente la création des textes écrits dans ce cadre. Les textes sont montés dans le lieu où se déroule leur action.

L’ÉQUIPE

Texte et mise en scène : Sarah M.
Avec : Zelda Bourquin, Anaëlle Houdart, Adil Laboudi, Makita
Samba, et Gabriel Tamalet